La petite collection des éditions du Sonneur - 31 pages.
Quatrième de couverture :
"Peu de vices sont plus difficiles à éradiquer que ceux qui sont généralement considérés comme des vertus, le premier d'entre eux est celui de la lecture".
Dans ce texte paru en 1903 dans une revue littéraire américaine, la romancière Edth Wharton (1862-1937) dénonce l'obligation sociale de la lecture, nuisible à la littérature et fatale à l'écrivain.
Mon avis :
Ce titre m'a tout de suite interpellé, puis que je suis une lectrice quasiment compulsive. En lisant ce court livre (un article de journal, en fait), je me suis retrouvée face à une thèse paradoxale, fortement stimulante. En effet, nous voulons promouvoir la lecture et nous sommes très heureux quand nous rencontrons quelqu'un qui lit. En quoi la lecture peut-elle donc être un vice ?
Edith Wharton distingue deux sortes de lecteur : le lecteur-né, et le lecteur mécanique. Pour moi, le terme "lecteur-né" m'a dérangé, car dans mon métier, je me heurte à des élèves pour lesquels l'apprentissage de la lecture a été difficile. Je rencontre des enfants encore en primaire qui déchiffrent couramment mais ne lisent pas (ils ne comprennent pas ce qu'ils lisent). Maintenant, ce terme s'explique aussi car le désir de lire n'a rien à voir avec les difficultés qui furent surmonter lors de l'apprentissage, ni même avec l'âge auquel l'apprentissage a eu lieu. Voilà pour l'analyse du terme. Qu'en est-il de ce lecteur-né ? J'ai envie de dire qu'il lit sans y penser, il trouve toujours un moyen, un temps pour satisfaire sa passion. Si un livre ne lui convient pas, il ne se sent pas obligé de le terminer. Surtout, chaque livre trouve une résonance en lui, le touchera personnellement - et son interprétation, le lien qu'il pourra faire avec ses autres lectures n'appartiendront qu'à lui.
Autre paradoxe : certains traits du lecteur mécanique pourraient être les nôtres, comme l'utilisation de marque-page ou le fait de se réserver un horaire précis pour lire. Je ne vous questionnerai pas sur vos pratiques personnelles, mais quand je reprends le travail, entre les copies, la préparation des cours, et les travaux ménagers, je me réserve une plage de lecture-détente le soir -sinon, je ne lirai que le week-end, ou le mercredi après-midi. Là s'arrête cependant la comparaison, car lire pour moi (et pour vous aussi je suppose) est un plaisir, pour le lecteur-mécanique, lire est une obligation sociale.
Ce portrait du lecteur-mécanique est étrangement actuel, bien que le contexte social ait changé en cent ans. Le lecteur mécanique lit tout, et surtout tous les livres à la mode, ceux qu'il faut absolument connaître pour briller socialement. Il a un avis sur chaque livre qu'il a lu, si ce n'est que cet avis n'est pas le sien, c'est un avis qu'il a entendu et qu'il a fait sien. Le danger se précise pour Edith Wharton, car qui dit lecteur mécanique, dit auteur mécanique, capable de satisfaire ses désirs. Pour vous, je ne sais pas, mais pour moi, j'ai quelques noms d'auteurs qui me viennent spontanément à l'esprit et qui satisfont pleinement leur lectorat. Parfois, heureusement, le bouche à oreille, le travail de libraires et de bibliothécaires passionnés, un livre peu connu émerge, mais c'est assez rare. La difficulté était encore plus grande en 1903 puisque les seuls critères pour le lecteur mécanique était la taille du livre (encore un argument d'actualité), le nombre de réédition et les critiques professionnels. Ils sont la dernière cible d'Edith Wharton puisqu'eux aussi commencent à céder à la facilité.
Au final, Le vice de la lecture est autant un plaidoyer pour une lecture active et enrichissante, qu'une critique contre l'appauvrissement de la production littéraire.