Merci à Thot, au forum Partage-lecture et aux éditions Points pour ce partenariat.
Quatrième de couverture :
Un jour de pluie à santiago, trois voeux nostalgiques rêvent de propager la révolution. En attendant leur chef, le "Spécialiste", Arancibia, Garmendia et Salinas boivent, fulminent et se disputent pour le plaisir. Mais "le Spécialiste" ne viendra pas : il est mort, assommé par un tourne-disque jeté d'un balcon lors d'une dispute conjugale. Aux vieux communistes de prendre leur destin en main...
Mon avis :
Je ne lis quasiment pas de littérature sud-américaine et, en dépit de la popularité des romans de Luis Sépulveda, je n'en avais jamais ouvert un seul. J'ai ressenti le besoin, en lisant ce livre d'une traite, de me plonger dans l'histoire du Chili. Je ne savais quasiment rien de ce qui s'était passé dans ce pays dans les années 70, mis à part la chute d'Allende, la dictature du général Pinochet, et la terrible répression qui s'en est suivi. Je le savais, mais dans les grandes lignes. J'ignorais, par exemple, que de nombreux chiliens avaient été contraints à l'exil, comme les antihéros de ce roman.
D'un côté, nous avons les vieux de la vieille, Arancibia, qui garden les séquelles de ce qu'il a subi, Garmendia et Salinas, qui sont revenus de leurs années d'exil et n'ont pu reconstruire leur vie à l'étranger. De l'autre, nous trouvons Concha, une femme en pleine crise, à cause du caractère velléitaire de son mari. Leurs points communs est de ne pouvoir se réadapter à leur vie dans un pays qu'ils ne reconnaissent plus. Certains vivent dans leur rêve, d'autres ne peuvent quitter leur cauchemar, au final chacun vit avec des fantômes.
Le grand talent de Luis Sepulveda est de faire d'un sujet tragique une oeuvre burlesque, accumulant les situations absurdes. Les dialogues sont nombreux et extrêmement savoureux parce qu'ils sont tous incroyablement sincères, jusque dans leurs excès de folie ou d'imagination. Je pense notamment aux nombreux scénarios imaginés par Aravena, tous nourris par sa cinéphilie galopante.
L'action est extrêmement reserrée : tout se déroule en une nuit mais le temps et l'espace se trouvent dilatés par les nombreuses réminiscences. Nous sommes au Chili, mais nous sommes aussi en Allemagne, en France, nous sommes paisiblement dans l'antre du poulet non-stop puis nous sommes aussi en pleine grève, en train de surveiller des poulets devenus fous. Pendant ce temps, l'inspecteur Crespo enquête, trop jeune pour avoir participé aux événements de 1973, trop agé pour trop âgé pour ne pas savoir qu'il a souvent ignoré tout ce qui s'est passé durant ses années, et pour ne pas (re) connaître le "Spécialiste" mort d'un coup de tourne-disque. Il est le lien qui unit les exilés à la jeune génération qu'incarne Adelita, sa collègue, une génération "qui a les mains propres" puisqu'elle est née l'année du coup d'état du général Pinochet.
La fin du roman tient plus de la fable que du réel : j'adorerai que ce qui est juste l'emporte sur ce qui est raisonnable.